Les conditions de travail et la santé au travail sont-elles les grandes oubliées des ordonnances ?
On a le sentiment que les ordonnances ont davantage pour objectif de redynamiser le marché de l’emploi. Les conditions de travail, l’équilibre par rapport aux exigences grandissantes du travail n’ont pas été abordés, mis à part la question du télétravail qui devient un nouveau droit dont l’employeur devra justifier le refus. Cette avancée peut permettre de réfléchir à de nouveaux modes d’organisation du travail alors que se développe un management à distance, que la charge de travail augmente, que les entreprises sont confrontées à de multiples changements organisationnels et qu’il existe une porosité de plus en plus grande entre vie privée et vie professionnelle.
Comment la fusion des IRP peut-elle influer sur la prise en compte des problématiques de santé au travail en entreprise ?
La fusion des institutions représentatives du personnel au sein du conseil social et économique (CSE) est une opportunité qu’il faut saisir. Il y a une volonté louable de lier l’économique et le social. Le fait d’avoir des IRP séparées n’aidait pas forcément à saisir les relations entre performance économique et santé au travail. Or, il faut pouvoir parler des deux sujets en même temps pour être pertinent, par le développement d’un dialogue social efficace.
Pour que cela fonctionne, il faut établir un rapport gagnant gagnant entre les salariés et la direction. La qualité de vie au travail ne doit pas être perçue comme un cadeau supplémentaire fait aux salariés mais comme un sujet qui contribue à la performance économique. ll faut que les DRH, les directeurs des relations sociales et les directions générales fassent de ce sujet un vrai levier stratégique.
A défaut, le danger peut être un développement des risques psychosociaux. Le risque, dans les entreprises peu convaincues par la question de la QVT, est que l’économique prenne le pas sur le social au détriment de la santé au travail.
Existe-t-il un risque qu’il y ait moins d’élus spécialisés sur les questions de santé au travail ?
Oui, ce risque existe car les élus devront désormais être qualifiés sur les deux sujets que sont l’économique et les conditions de travail. Il s’agit là d’un point de vigilance sur le terrain car il y aura moins d’acteurs spécialisés qui sont autant de capteurs, de sentinelles sur lesquels les salariés peuvent s’appuyer.
Il ne faut pas non plus négliger le rôle du médecin du travail qui assiste de plein droit aux réunions du CHSCT. Il sera désormais convié aux réunions du CSE sur les points à l’ordre du jour relatifs aux questions relatives à la santé, la sécurité, les conditions de travail et aux réunions de la commission santé, sécurité et conditions de travail lorsqu’elle existera. Alors que le gouvernement souhaite allier davantage l’économique et le social, il serait judicieux de ne pas se contenter d’inviter le médecin du travail à ces seules réunions car il est un interlocuteur central. On risque sinon de perdre en efficacité et en pluridisciplinarité. Le médecin du travail est trop souvent vu comme un empêcheur de tourner en rond.
Les ordonnances élargissent les cas d’expertises co-financées par le CSE. Qu’en pensez-vous ?
La prise en charge conjointe de certaines expertises va forcément nécessiter un autre type de dialogue sur les thématiques de santé au travail. Il restera toujours un moyen d’action pour les élus mais on peut s’attendre à une baisse du nombre et du coût des expertises. Ce seront autant d’occasions en moins pour parler des conditions de travail.
Vous insistez sur l’importance de négocier sur la qualité de vie au travail au moment où – justement – on donne plus de latitude à la négociation d’entreprise…
Le développement de la négociation d’entreprise va générer davantage d’exigences à l’égard des salariés ; il faudra donc s’interroger sur l’impact sur la QVT, les conditions de travail et l’écosystème du salarié. Notamment les entreprises qui vont négocier des accords sur l’emploi avec les nouvelles possibilités offertes par les ordonnances. Evoquer les conditions de travail dans ces mêmes accords est une question d’ambition, de gouvernance, du sens donné et de management. D’ailleurs que l’entreprise aille bien ou mal d’un point de vue économique, la qualité de vie au travail doit toujours être un sujet. Les entreprises sont plus performantes si elles s’en préoccupent.
Les ordonnances prévoient que les outils numériques peuvent être un relais pour le droit d’expression collectif. S’agit-il d’une mesure intéressante ?
Les outils numériques peuvent permettre d’être davantage connectés au ressenti des salariés. Le numérique peut faciliter le dialogue, mais il doit rester un moyen et non pas se développer au détriment de l’humain. Les outils numériques peuvent être une source nouvelle d’innovation et de mise à plat du droit d’expression. Mais attention toutefois au risque de se cacher derrière l’outil.
Vous pointez aussi la barémisation avec le risque d’une explosion des contentieux liés aux risques psychosociaux…
Il existe en effet une voie de passage à la non application du barème d’indemnités de licenciement injustifié avec les motifs de harcèlement, de discrimination et les atteintes aux libertés fondamentales. L’une des questions qui se posent est de savoir si la santé au travail – la santé tout court d’ailleurs – est une liberté fondamentale. On pourrait ainsi assister à une hausse du contentieux en cas de licenciement injustifié. Les employeurs vont devoir être irréprochables dans l’évaluation des risques psychosociaux, la mise en place de procédures d’enquêtes et de médiation afin d’être en conformité en cas de contentieux.